Progrès technique et emploi

 

 

 

L’idée selon laquelle le progrès technique est directement à l’origine de destruction d’emplois, et donc du chômage, est communément admise. Or, on constate souvent que le chômage concerne plus les pays et les secteurs moins concernés par le progrès technique. Comment expliquer ce paradoxe ? Au-delà de l’aspect quantitatif, il permet aussi une évolution de la structure des emplois et de leur qualification.

 

*             Les conséquences quantitatives sur l’emploi

- Dans un premier temps, il semble évident que le progrès technique détruit des emplois. L’introduction de nouvelles machines plus productives a en effet pour conséquence de réduire le nombre d’emplois nécessaires à la réalisation du volume de production désiré. Des révoltes ouvrières ont ainsi eu lieu contre l’introduction de machines dans le processus productif ; les plus célèbres sont celles des canuts lyonnais au 19ème siècle, ou encore des luddites en Grande-Bretagne. Cette thèse est la «théorie technologique du chômage » : pour un niveau donné de la production, une augmentation de la productivité telle que l’engendre le progrès technique réduit l’emploi disponible.

- Dans le même temps, de nouvelles machines sont aussi directement génératrices d’emplois. Ainsi, il faut des travailleurs pour construire ces machines, mais aussi pour les entretenir et les réparer. Cependant, ces nouveaux emplois ne peuvent être suffisants pour compenser les emplois directement détruits.

- La plupart des économistes pensent que le progrès technique est globalement créateur d’emplois. En effet, si le progrès technique prend la forme d’une innovation de produit, il permet l’apparition de nouveaux produits plus performants. De nouveaux marchés se créent, générateur de nouveaux emplois. S’il prend la forme d’innovations de procédés, les gains de productivité induits peuvent entraîner une augmentation de la demande vers de nouveaux produits, elle aussi génératrice de production, et donc d’emplois.

 

*             Les conséquences qualitatives sur l’emploi

- Le progrès technique change la nature des emplois : le processus de déversement des emplois entraîne une tertiarisation progressive des emplois.

- Le progrès technique change la qualification des emplois : à ce sujet, deux approches s’opposent. D’une part, certains estiment que le progrès technique induit une hausse des qualifications, car les nouvelles machines et nouvelles méthodes de production demandent de nouvelles compétences aux salariés. On assiste ainsi à une forte progression des emplois qualifiés, parallèlement à une chute des emplois non qualifiés, même si ceux ci n’ont pas totalement disparu. D’un autre côté, certaines innovations permettent de remplacer du travail qualifié en réduisant les compétences demandées aux travailleurs ; ainsi, historiquement, le développement du taylorisme a réduit les qualifications des travailleurs (voir p.00)

- Enfin, le progrès technique peut être source d’exclusion : ceux ayant perdu leur emploi du fait de l’introduction d’un progrès technique dans leur secteur productif n’ont en effet pas nécessairement les qualifications requises pour postuler aux nouveaux emplois créés. On parle alors de chômage structurel. Ce chômage est le plus souvent de longue durée, et peut même devenir irréversible –et donc être source d’exclusion du marché du travail- sans la mise en place d’un processus de formation continue.

 

 

 

 

 

 

COMPLEMENT : La théorie du déversement

 

 

 

Le principe du déversement sectoriel

 

La théorie du déversement a été présentée par Alfred Sauvy dans « La machine et le chômage »  Selon cette théorie, le progrès technique, lorsqu’il est introduit dans un secteur d’activité ou une branche, détruit des emplois dans ce secteur – on parle de substitution capital/travail : les « machines » remplacent les hommes. C’est l’effet direct, qui est négatif.

Cependant, si le progrès technique correspond à une innovation de procédé, il permet des gains de productivité. Or, la répartition des gains de productivité va permettre l’accroissement de la demande, cette demande ne se portant pas nécessairement vers les produits du secteur dans lequel le progrès technique a été introduit. Par exemple, des gains de productivité dans le secteur primaire (l’agriculture) ont historiquement permis une diminution des prix des produits agricoles ; cela a « libéré » du pouvoir d’achat pour les consommateurs, qui ont pu porter leur demande vers un nouveau secteur. La production augmentera donc dans ce nouveau secteur, ce qui sera source de création d’emplois. On parle de « déversement » car les emplois détruits sont plus que compensés par les emplois créés (le solde est positif).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La tertiarisation, une conséquence du déversement

 

Historiquement, le progrès technique est d’abord apparu dans le secteur primaire, ce qui a détruit des emplois dans ce secteur, et en a créé dans le secteur secondaire –l’industrie-, vers où la demande s’est dirigée. Puis, le progrès technique s’est développé dans le secondaire, ce qui a entraîné selon le même processus un accroissement des emplois dans le tertiaire.

Ainsi, la part des emplois agricoles dans le total des emplois est passée de 5% en

 

 

 

Les limites de la théorie

 

Cette théorie connaît principalement trois limites :

- L’existence de gains de productivité n’entraîne pas toujours une augmentation de la demande : tout dépend de la répartition de ces gains (voir p.00)

- Le secteur tertiaire commence lui aussi à connaître des gains de productivité, principalement dans la distribution, la banque et l’assurance. Vers quel nouveau secteur les emplois détruits vont-ils pouvoir se déverser ?

- Cette théorie suppose que ceux qui viennent de perdre leur emploi dans un secteur vont pouvoir en trouver un nouveau dans un autre secteur, ce qui pose le problème de l’adéquation des qualifications.